RENCONTRE AVEC JEAN DELOYE, FACTEUR D’ORGUES
Jean Deloye, facteur d’orgue, au chevet des instruments vaisonnais, veille sur leur bonne santé.
À l’occasion du festival Vaison’Orgues organisé par l’Association pour le rayonnement des grandes orgues de la cathédrale de Vaison-la-Romaine, nous avons eu l’opportunité de rencontrer le facteur d’orgues qui entretient régulièrement les orgues de la cathédrale de Vaison, l’orgue de chœur Vershueren installé en 2002 et l’orgue de tribune construit par le facteur allemand Hendrick Ahrend, mis en place en 2009. Il s’appelle Jean Deloye. Il est meilleur ouvrier de France et expert international. Originaire d’une famille des Vosges, il est né en 1945 en Franche-Comté près de Dole.
On sait que les orgues sont des instruments puissants, capables d’une polyphonie complexe, dont la clarté acoustique est parfois mise à l’épreuve à cause notamment de l’environnement architectural dans lequel ils sont placés. Ils sont construits et entretenus par des artisans d’art dont la formation est très spécialisée et en même temps très vaste puisqu’elle comporte une connaissance des styles, la maîtrise des techniques du bois, du métal, de la soufflerie, de l’acoustique et de l’informatique.
C’est par hasard que Jean Deloye a croisé la route de son destin. Formé aux techniques industrielles chez les Frères lassaliens, il pensait travailler un jour chez Alstom. Mais ni cette entreprise ni Peugeot ne l’embauchent, et le service militaire se profile. Un camarade d’école, passé du côté du bois quand lui se disait « ferreux », lui parle d’un facteur d’orgues installé à Rainans qui cherche un outilleur. Intrigué, Jean accepte. La découverte de ce métier le fascine : les instruments, les sons extraordinaires qui emplissent de magnifiques édifices, l’univers du tuyau et de l’accord.
Dans l’atelier de son maître d’apprentissage, il commence par régler et affûter les machines, allant jusqu’à fabriquer lui-même ses outils pour réaliser des pièces délicates. Bientôt, il s’essaie à l’accordage, encouragé par ce mentor exceptionnel qui lui transmet sa passion et ses secrets. Ici, pas de contreplaqué : tout est bois massif, chêne ou épicéa, travaillé à la varlope avec une précision d’orfèvre. L’équipe compte alors onze employés, plus deux artisans à mi-temps près du Mans, dont un tuyautier fondeur d’étain-plomb. Jean apprend aussi la fonderie : couler les feuilles d’alliage, marteler le métal pour en accroître la rigidité, ajuster la composition selon le timbre recherché.
Lorsque l’entreprise connaît des difficultés, il la reprend et la relance avec succès. L’atelier tourne avec six à dix personnes, dans un esprit collectif où il garde son établi au milieu du personnel. Les années 1970 voient le démarrage de sa propre activité, toujours nourrie par la tradition et la précision des gestes anciens.
Parmi ses réalisations figure l’installation de l’orgue de chœur Verschueren à la cathédrale de Vaison-la-Romaine. L’instrument, d’origine hollandaise, acheté près de Düsseldorf, était incomplet : Jean fabrique alors sommier et tuyaux manquants. Son travail séduit le facteur Hendrik Ahrend, auteur du grand orgue de tribune, qui décide d’harmoniser le sien sur le positif de chœur afin que les deux puissent dialoguer. Depuis, Jean assure l’entretien des deux instruments.
Son savoir-faire dépasse l’atelier : il remet sur pied les CAP de la profession dans les années 1970, puis participe à la création de l’école de facture d’orgues d’Eschau, qui forme encore aujourd’hui des apprentis. Partisan de la mécanique directe, il défend un rapport sensible entre l’organiste et son clavier, où chaque toucher influe sur le son. Son entretien des orgues se fait dans le respect des instruments et de leurs constructeurs, privilégiant le réglage précis et la correction minimale pour préserver l’harmonie d’origine.
À 80 ans, installé à La Grange Viron près de Dole, Jean Deloye continue de veiller sur les orgues de Vaison, mais aussi sur ceux d’Avignon et de nombreuses églises de la région. Sa carrière, née d’un concours de circonstances, est celle d’un artisan passionné qui aura consacré sa vie à unir la rigueur de la technique et la poésie du son, qui aura su « faire parler » les tuyaux.
Prochain et dernier concert du festival Vaison’Orgues 2025, ce dimanche 17 août à la cathédrale Notre-Dame de Nazareth à 20 heures, avec Pascal Reber, titulaire du Grand Orgue de la cathédrale de Strasbourg.