SANS GÈNE
Tribune libre.
Certains sont sans d’un sans-gêne renversant.
S’approprier l’espace public est soumis à des règles et à des autorisations, et à un paiement. D’avance, dit la loi. Et même à une mise en concurrence, sauf exception.
Mais où allons-nous si chacun en prend à son aise ? Où sera la limite ? Quand seront atteints les 10 cm de trop ? Qui le décide ? C’est la porte ouverte à l’arbitraire, aux décisions à la tête du client, où du pot de vin. Qui décide que l’intérêt du particulier est compatible ou pas avec l’intérêt général, si chacun, pour plus de pognon, fait impunément ce qu’il lui plait devant chez lui, ou pourquoi pas devant chez le voisin, tant qu’on y est ? Où devant chez vous ?
Certains diront « je travaille ». À les entendre faire du fric excuse toutes les transgressions, le foulage aux pieds des règles, des lois et des règlements, et même le mépris de ses concitoyens. L’occupation de l’espace public au mépris des règles, le stationnement qui bloque ou qui gêne, le bruit qui dérange, les déchets jetés n’importe où… Je travaille ! Traduisez : je fais du fric et le reste je m’en fous. Faire du fric excuse tout, maintenant ?
Ils diront aussi peut-être « pour ça ? ». Mais si vous faites pareil sur leur bout de terrain, vous risquez de vous retrouver couvert d’injures, menacé de violences et peut-être pire.
Ces chefs d’entreprise qui piétinent allègrement lois et règlements affirment souvent « je ne peux pas faire autrement ». C’est reconnaitre que leur entreprise n’est pas viable sans ces infractions, dit autrement que leur business est fondé sur l’illégalité. On s’arrête où ?
Sans faire d’amalgame, au niveau des principes (je répète « sans faire d’amalgame » et « au niveau des principes » au cas où certains seraient tentés de faire semblant de croire que j’assimile chefs d’entreprises et dealers), même si les conséquences ne sont pas comparables, au niveau des principes donc, quelle est la différence entre un dealer qui dérange les habitants d’une cité par son business, en limitant leurs possibilités de déplacement, et une entreprise qui s’octroie indument le droit d’interdire aux citoyens de marcher ou de s’asseoir sur un terrain qui est propriété commune, ou stationne au milieu de la rue sans autorisation pour ses besoins professionnels ?
Où, si vous préférez, quelle est la différence entre occuper l’espace public pour faire un rodéo urbain et l’occuper pour y installer son matériel afin de faire du fric ? À part que pour les uns c’est pour s’amuser, et l’autre parce qu’il a monté une entreprise dont le modèle économique est précisément l’occupation indue de l’espace public ? La question étant évidemment aussi, du coup, pourquoi n’en sanctionner qu’un ? Ou un plutot que l'autre ?
N'oublions pas non plus que ceux qui enfreignent ainsi lois et règlements pénalisent par une concurrence déséquilibrée ceux qui prennent la peine de respecter la loi.
Enfin, si en disant « je travaille » (« je fais du fric »), chacun peut s’approprier un bout d’espace public, pourquoi pas ? Mais il faut aller au bout de la logique : n’importe qui peut faire n’importe quoi n’importe où pour installer son petit commerce, ou l’étendre. Où pour son plaisir. Supprimons le besoin d’une autorisation pour une installation sur une place publique, un trottoir, une rue, sans fixer de limites puisque c’est pour du fric, et supprimons tant qu’à faire la redevance qui va avec, tant pis pour ceux qui les encaissent. Au moins chacun pourra installer sa table de pique-nique sur un trottoir contre la terrasse d’un restaurant et manger son repas tiré du sac à la bonne odeur de la cuisine du chef.
C’est quand même curieux ces cris d’orfraie devant certaines incivilités, transgressions ou infractions, et cette cécité sur d’autres…